samedi 11 juin 2016

J'ai eu un mauvais prof

A. J'ai eu un mauvais prof !
B. Oui, c'est possible. Toutes les institutions ont leur envers nul, sombre, violent, atroce. Les pervers s'en emparent pour jouer à déstabiliser les usagers, et sont rarement repérés et punis. Les personnes brisées par la vie peuvent subsister longtemps, portées par les institutions, mais mortes et détruites de l'intérieur. L'alccol, le divorce, les accidents, les suicides, les deuils, peuvent tuer toutes les motivations pédagogiques. Oui, il y a des mauvais profs, que personne ne peut vider, soit par peur, soit par pitié. Mais les institutions ont brassé les hommes, leur ont appris à vivre ensemble, à supporter les contraintes, à se dépasser dans la productivité, à convaincre dans la créativité. L'institution est comme la horde pour les animaux grégaires que nous sommes, une contrainte de survie et de dépassement. Au gymnase, les élèves sont des vétérans de l'école, ils ont tout vu : les fous, les sadiques, les mélancoliques, les désespérés, les pervers. Tout ce qui ne vous tue pas vous renforce.
A. Oui, mais j'ai eu un mauvais prof.
B. Et puis zut, les élèves d'aujourd'hui sont trop gentils, trop craintifs, trop soumis. Nos profs, quand ils nous déplaisaient, on les faisait tourner en bourrique, on les ridiculisait, on les bafouait, on les empêchait d'enseigner. On n'avait pas peur des heures d'arrêt. On prenait tous les risques pour faire rire les copains. On n'avait besoin ni des parents, ni des doyens, ni de l'Internet pour se débarrasser d'eux. Nous n'avons pas été traumatisés, mais eux oui. Le rapport de force était en notre faveur. Les points qu'on perdait on les rattrapait en trichant, ou en flattant le remplaçant.
A. Oui, mais j'ai eu un mauvais prof.
B. On n'est jamais le bon prof de tout le monde, ni le mauvais d'ailleurs. C'est une grave illusion pédagogique que de croire que les affinités électives des classes et de leurs profs pourraient être établies par une science exacte. La gestion de classe est un art, qui a toujours sa limite. Il y aura toujours des transferts et des contre-transferts. Le lien irrationnel des élèves avec leurs parents se projette sur les profs, et les liens irrationnels des profs avec leurs enfants embarrassent la rationalité des rapports. Combien de fois j'ai entendu en salle des maîtres : je ne supporte pas ce genre d'élève... Et en classe, les griefs contre ses lunettes, ses chemises, ses pantalons, ses chaussures, etc. Le prof est sale, mesquin, ennuyeux. L'élève est paresseux, sournois, méchant, pré-délinquant...
A. Oui, mais j'ai eu un mauvais prof.
B. Aujourd'hui, les élèves n'ont plus aucun sens de l'effort, du travail par motivation intrinsèque. Ils pensent, et leurs parents aussi, qu'il est normal et naturel d'être totalement démotivé, et que c'est au prof de les faire travailler, et de leur donner par la ruse ou la contrainte, la motivation qui leur manque. On ne travaille plus que si un autre le veut et vous fait vouloir. Il est vrai que le prof est d'abord une volonté, bien plus qu'une science, mais il doit rencontrer d'autres volonté sur laquelle exercer la sienne. Dans le vide total, la meilleure volonté se perd en droite ligne !
A. Oui, mais j'ai eu un mauvais prof.
B. Tu as raison, c'est affreux !

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