vendredi 7 décembre 2018

Spiritualité et neurosciences en Sorbonne


Hier à la Sorbonne, pour deux « Controverses Descartes » organisées avec le soutien de la maison d’édition Nathan et de la Fondation SNCF pour les profs français. La première portait sur la conciliation de la laïcité et de la spiritualité à l’école (à l’heure où s’effrite la première, et où ne se montre pas vraiment la seconde).

Delphine Horvilleur, rabbin(e) libérale, commença très fort en affirmant que « la spiritualité, c’est du vent », en continuant sur le souffle divin et la glaise humaine. Son attachement à la laïcité se faisait le prolongement logique de la nature dialectique du rabbinisme. Mais pourquoi y a-t-il si peu de juifs, et surtout de libéraux ? — c’est que la seule chose qui donne de l’esprit à la religion, c’est d’être minoritaire. Mais, à ce stade, on ne voyait pas encore arriver l’école.

Elle se présenta pourtant avec la nostalgie de la compacité exprimée par Jean-François Colosimo, directeur des Éditions du Cerf, qui eut le don de m’énerver : la rengaine sur nos enfants « exclus du musée européen » par la perte de l’Histoire sainte et du consensus tout-catholique (avec pointes sur l’évangélisme et l’islam). En fait, si nos élèves ne savent plus comment finit l’histoire d’Adam et d’Ève (expérience authentique : M’sieur, ça finit comment ?) c’est surtout parce que le catéchisme et l’histoire biblique se sont enlisés dans le prêchi-prêcha cul-cul, moral et biomoral (assumons le néologisme) au lieu de se mettre résolumment au service du mythe. Si nous avons pu/dû introduire l'études des religions à l’école (option complémentaire dans la Maturité suisse, avec examen et note au bac), c’est bien parce que l’Église est devenue inaudible, par son embarras sexuel d’abord — et c’est le cas autant pour les protestants vaudois que pour les catholiques français.
Jean-François Colosimo se moque ensuite de l’Histoire des religions, parce qu’elle ne sait pas définir son objet. Comme si la théologie faisait mieux, entre le marécage analogique et les pirouettes dialectiques. En fait l’objet de l’Histoire des religions, c’est d’abord l’imagination humaine, tout simplement — un objet, certes, plus vaste que Dieu, et même que tous les dieux, mais bien situé dans l’anthropologie. Et c’est de ce ressourcement dans l’imaginaire que les (ou certains) élèves ont besoin, avec suffisamment de critique pour en rire, mais assez de proximité pour en jouir.

Et c’est pourquoi le magnifique discours philosophique d’Abdennour Bidar, fondé sur les sources de la raison occidentale, Socrate et Descartes, mais ouvert aux autres cultures philosophiques du monde, ne me semble pas suffire : quand on aura lu en classe les livres sapientiaux de la Bible, le Coran, la Bhagavad-Gîtâ, le Tao-tö king, etc., aura-t-on fait une place à la spiritualité ? Si l’approche est trop scolaire, la réponse est non. Explications de texte et dissertations peuvent bien produire des connaissances, mais pas de spiritualité. La sécheresse de la critique est nécessaire, mais pas suffisante.

Le dernier paradoxe de la journée fut apporté par Philippe Meirieu, qui osa présenter, en vieux provocateur, des passages de l’article « Prière » du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, dans l’esprit du meilleur protestantisme libéral : « Qui nous rendra, qui rendra à nos fils et à nos filles la poésie dont l’âme ne se passe pas, ni celle de l’enfant, ni celle de l’homme ? Qui éveillera chez l’enfant une idée plus pure du devoir, une ambition plus noble ? ». Il y a du dandysme à révéler que Ferdinand Buisson n’était pas matérialiste à un auditoire de marxistes et de positivistes, au milieu de la France des gilets jaunes.

La seconde table ronde devait poser la question : Qu’est-ce que l’école peut attendre des neurosciences ? Après une tranche soporifique de naturalisme dogmatique et de sociologie compacte servie par Joëlle Proust, un sympathique et décontracté pédopsychiatre, Bernard Golse, vint nous dire que le cerveau étant si peu prévisible, la construction du savoir épigénétique étant si variée, on ne pourrait pas tirer grand-chose des neurosciences, si ce n’est le rappel que la relation est important dans l’apprentissage. Olivier Houdé, successeur de Piaget en Sorbonne, vint nous présenter son livre des éditions Nathan, et nous rappeler sa belle carrière académique. Enfin le bon sens prévalut avec le psycholinguiste Franck Ramus, qui affirma qu’une solide formation en Psychologie et Sciences de l’éducation suffirait encore longtemps pour enseigner, même si les neurosciences étaient très amusantes pour les chercheurs.
Bref, le contraire de ce que veut faire croire le ministre aux gogos : les neurosciences ne pourront contribuer à la conduite des classes et faciliter l’apprentissage avant longtemps. D’ailleurs, le ministre dûment annoncé n’est pas apparu. Cet homme, qui voulait "reprendre le pouvoir" dans l'école, regardait sans doute brûler les lycées depuis son bureau doré !


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