mercredi 10 juillet 2013

Sur les faveurs

Réponse à un jeune professeur sur les faveurs de la conférence des maîtres

En Suisse, les conseils de classe font des propositions de promotion par faveur (ou non) et l'ensemble des maîtres réunis en conférence décide en dernière instance. Il est vrai que la première fois qu'on assiste à une telle conférence, on ressent un certain malaise. On entend les uns et les autres jouter d'éloquence (pas tous), on voit les mains se lever. On tient les fils du destin entre ses mains. On peut renverser d'un mot une centaine de professionnels. Mais c'est justement parce nous ne sommes ni des dieux ni des avocats. Comme tout groupe, une conférence des maîtres apprend d'ailleurs à décider : en s'observant mutuellement, les intervenants développent un degré de confiance différencié les uns pour les autres, qui n'est pas forcément partagé par les nouveaux venus.

Pour travailler dans la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne depuis sa fondation, j'ai pu voir ce que donnait une école sans moyennes et sans régulation pédagogique. Les notes sont données par lettres et non par chiffres, et aucune assemblée des formateurs ne valide les résultats. Cela signifie que le moindre intervenant peut faire échouer définitivement un étudiant, quel que soit l'ensemble de ses résultats. Tout échec se transforme donc en conflit, et les recours aboutissent parce qu'il n'y a pas de médiation fiable.

On se demande si l'examen des circonstances particulières est bien exhaustif. Nombreuses sont sans doute les souffrances cachées, les stigmates honteux qui n'ont pas été dits. On objecte qu'il n'est pas juste de tenir compte des problèmes de certains et pas de ceux des autres (plus graves). Mais quant au vécu caché des élèves, il ne peut être l'objet d'inquisition pédagogique. Il faut donc s'en tenir au vécu déclaré pour se faire une idée des circonstances particulières ayant motivé l'échec. Là encore, c'est la confiance qui s'établit entre collègues dans une conférence des maîtres qui va permettre un bon niveau de discrétion et de réserve. Un nouvel arrivé sera forcément privé de repères, mais il peut les acquérir avec un peu de patience.

Enfin, il serait impossible de s'en tenir strictement aux moyennes sans établir un sérieux contrôle sur elles : il faudrait fixer des moyennes cibles (4.5 sur 6) avec une justification systématique des écarts. Comment les notes d'un jeunot terrifié qui fait régner la terreur pour maîtriser sa classe pourraient-elles prévaloir sur de magnifiques travaux mûrement réfléchis et développés dans la sérénité ? Les moyennes sont de toutes façons des "farines animales" dans lesquelles entrent en composition des travaux incompatibles pédagogiquement. Il est donc indispensable de garder un modeste instrument de pondération collective, pour respecter une certaine équité entre les élèves.

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