mercredi 10 juillet 2013

Réponse à un jeune professeur sur la question des notes

La note est un fait social caractéristique d'un milieu déjà ancien et bien structuré institutionnellement. Pourtant la querelle des notes embrase régulièrement la politique scolaire, alors même que le champ pédagogique (à l'exception de la recherche) semble conserver une sérénité inaltérable.

L'ensemble des professeurs se révèle en effet capable de noter tout et n'importe quoi sans grande difficulté, mais c'est après tout une capacité largement humaine (qui n'a pas noté les filles de sa classe à quatorze ans ?). Mais très peu de professeurs se révèlent capables de voir où réside la véritable difficulté de cette opération, même lorsque les élèves, les parents et l'administration contestent les notes.

Diverses études ont montré que les enseignants acceptent sans objections des tâches d'évaluation absurdes. Noter est le coeur du métier, sa référence ultime (ultima ratio regni). La mise des notes est comme la clé du pouvoir magistral. Un doyen, mal inspiré par l'industrie, m'avait même déclaré : "Tes notes sont tes produits finis".

L'évaluation semblait si peu problématique que, dans mon déjà ancien  Dictionnaire de la langue pédagogique (PUF, éd. 1966), le terme ne figure même pas !

La plupart des professeurs associent la note à l'idée d'une sorte de mesure objective de la valeur des travaux, par une sorte d'analogie avec l'idée physique de la mesure. Mais la notion de mesure présuppose la covariation de deux grandeurs physiques : la distance avec la vitesse de la lumière, ou la longueur et la circonférence terrestre. Rien de tel avec les notes, même si l'illusion du découpage du travail en nombreuses questions paraît figurer une telle analogie. La contestation n'en est pas moins vive, même si elle doit porter sur des quantités insignifiantes.

L'autre métaphore, moins répandue, est celle de l'économie : la note est le prix du travail. Les professeurs n'aiment pas cette métaphore pour toutes sortes de préjugés idéologiques, et parce qu'elle prête à la négociation, au marchandage. Pourtant, il y a bien un circuit économique en jeu dans la classe : trop bien noter ne stimule pas l'activité (inflation) et trop mal noter non plus (déflation). Les enfants et les parents considèrent largement que l'école est le travail de l'enfant et que les notes en sont le salaire. Mais cette représentation est trop postmoderne pour la plupart des professeurs, parce qu'elle ne fait pas de la note une vérité mais un simple échange conjoncturel.

Il n'y a pas besoin de se référer à la crise des fondements des mathématiques et à l'intervention de Husserl pour défendre l'idée que tout nombre est intentionnel et que la note est irréductiblement un jugement, avec tout ce que le terme implique de la subjectivité agissante. Une note est une démarche du sujet, et personne ne peut se cacher derrière une objectivité qui ne soit pas intentionnelle. Il faut vouloir être juste pour bien noter, et l'ensemble des micro-décisions qui aboutissent à la note ne peut être intégralement partagé. L'élève doit se contenter de la bonne volonté du professeur, qui est après tout la seule chose qui soit pure dans ce bas monde (Kant).

Le jugement est toujours partie d'un dialogue, et l'on revient à l'échange cadre de l'évaluation. Le professeur donne un enseignement, puis l'élève redonne un travail en retour, puis le professeur redonne une note en retour. La remédiation viendra prolonger cet échange : l'élève redonne un travail corrigé et le professeur redonne une note meilleure, etc. L'estime que l'élève peut accorder au professeur procède toujours de la bonne qualité de cette dimension de l'échange. La reconnaissance des conscience (Hegel) est l'entrée dans la vie de l'esprit.

La question de savoir s'il existe des notes plus faciles à mettre que d'autres doit donc trouver une réponse négative. Formellement parlant, aucune note n'est plus difficile à mettre qu'une autre puisque toutes sont des jugements irréductiblement subjectifs et insérés dans un même échange scolaire. Pourtant la recherche pédagogique met en lumière un phénomène singulier.

Lorsqu'on fait noter à l'aveugle une même copie par des professeurs différents qui ignorent les corrections des autres, on constate qu'il faut presque une centaine de correcteurs pour "stabiliser" la note moyenne de la copie en Français ou en Philosophie. Ce n'est pas étonnant, étant donné la profonde diversité de formation et de culture des enseignants concernés. Ce qui est plus étonnant, c'est qu'il faut quand même une quinzaine de correcteurs pour stabiliser une note de Mathématiques ou de Physique.
Là encore, l'"équation personnelle" va donc compter !

Cette indécision dans le notes est le grand refoulé de la pratique pédagogique et son affirmation paraît donc menacer les fondements de l'école. En fait, il n'en est rien car le véritable développement intellectuel des élèves n'a pas les notes pour cause ni pour effet.

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