"Départ de F & D, pour la rentrée de Morges.
Il me paraît étonnement normal de rester
dans le Sud en vacances, et je comprends qu’il me semblait durant toutes ces
années anormal de rentrer pour
retravailler, mais une fois les visiteurs partis sur la longue route du retour,
que je connais si bien, tout de même une petite pointe étonnante de regret de
n’être pas parti avec les amis. « Ma place est auprès de mes
camarades ». Cette phrase m’a hanté durant quelques minutes, puis s’en est
allée dans le lâche soulagement de n’avoir pas d’obligation en Suisse avant la
semaine prochaine. Les « camarades », le mot fait penser à la
chambrée des soldats ou au vestiaire de l’équipe, plus qu’à la salle des
maîtres. Et pourtant je me suis senti solidaire,
un instant, de cet immense effort institutionnel collectif d’éducation, et surtout de ses
acteurs. Je m’interroge sur ce sentiment ténu : après quarante ans, je ne
regrette pas l’enseignement, qui me fatiguait de plus en plus. Je ne regrette
pas l’école, qui m’a toujours demandé un grand effort d’adaptation et d’intégration.
Je ne regrette pas mes 4'000 élèves, que je porte toujours en moi, dans une
grande mémoire un peu involontaire. « Ma place est auprès de mes
camarades » désigne d’ailleurs plutôt un devoir qu’un plaisir, la solidarité avec la horde de chasseurs primitifs
sans lesquels on mourrait seul dans la nuit : mais avec toute la tendresse
que je leur voue, je dois maintenant apprendre que j’ai le droit de les
abandonner à leur destin, ne pouvant plus rien pour eux, et l’enseignement avec
eux. Ce que je devais déjà m’imposer chaque année, aux promotions, pour les élèves
qui partaient dans la vie — mon sort aujourd’hui. Et pourtant, j’ai vu aujourd’hui
les rails commencer à diverger sous mes pieds, à l’aiguillage, et j’ai laissé
partir l’autre train, pour suivre ma propre voie."
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