samedi 19 août 2017

Extrait de mon journal personnel





"Départ de F & D, pour la rentrée de Morges. Il me paraît étonnement normal de rester dans le Sud en vacances, et je comprends qu’il me semblait durant toutes ces années anormal de rentrer pour retravailler, mais une fois les visiteurs partis sur la longue route du retour, que je connais si bien, tout de même une petite pointe étonnante de regret de n’être pas parti avec les amis. « Ma place est auprès de mes camarades ». Cette phrase m’a hanté durant quelques minutes, puis s’en est allée dans le lâche soulagement de n’avoir pas d’obligation en Suisse avant la semaine prochaine. Les « camarades », le mot fait penser à la chambrée des soldats ou au vestiaire de l’équipe, plus qu’à la salle des maîtres. Et pourtant je me suis senti solidaire, un instant, de cet immense effort institutionnel collectif d’éducation, et surtout de ses acteurs. Je m’interroge sur ce sentiment ténu : après quarante ans, je ne regrette pas l’enseignement, qui me fatiguait de plus en plus. Je ne regrette pas l’école, qui m’a toujours demandé un grand effort d’adaptation et d’intégration. Je ne regrette pas mes 4'000 élèves, que je porte toujours en moi, dans une grande mémoire un peu involontaire. « Ma place est auprès de mes camarades » désigne d’ailleurs plutôt un devoir qu’un plaisir, la solidarité avec la horde de chasseurs primitifs sans lesquels on mourrait seul dans la nuit : mais avec toute la tendresse que je leur voue, je dois maintenant apprendre que j’ai le droit de les abandonner à leur destin, ne pouvant plus rien pour eux, et l’enseignement avec eux. Ce que je devais déjà m’imposer chaque année, aux promotions, pour les élèves qui partaient dans la vie — mon sort aujourd’hui. Et pourtant, j’ai vu aujourd’hui les rails commencer à diverger sous mes pieds, à l’aiguillage, et j’ai laissé partir l’autre train, pour suivre ma propre voie."

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